Emmanuel Macron et la finance: La propagande Macron

Emmanuel Macron ne veut pas être réduit à « quatre années » de sa vie au cours de laquelle il était banquier d’affaires. Mais la vraie question est ailleurs : c’est celle de sa vision de l’économie.

C’est sans doute un signe des temps. Alors que François Fillon et Marine Le Pen ne cessent de viser « la presse du système », lors de sa conférence de presse de présentation de son programme électoral le 2 mars, Emmanuel Macron a fait publiquement la leçon à un journaliste de Mediapart. Il l’a accusé de « faire le lit du Front National » en le « réduisant à quatre années de sa vie », celle où le candidat d’En Marche ! était banquier d’affaires. Irrésistiblement, ce genre de recadrage d’un journaliste par un politique fait penser à une autre conférence de presse, celle où Donald Trump dénonçait les « Fake News Medias » (les « médias de fausses nouvelles »). Du moins, ces attaques n’étaient, alors, pas saluées par des applaudissements.

Un problème de fond

Mais plus encore que la forme, c’est le fond qui interpelle. Emmanuel Macron entend ne pas être réduit à son expérience financière. Il en a le droit, bien évidemment. Mais le droit de la presse est évidemment de lui demander des comptes sur ce qu’un candidat à la magistrature suprême de la République a retenu de cette expérience. Elle en a d’autant plus le droit que l’enjeu n’est pas mince. Dix ans après le début de la crise financière, la France pourrait disposer de deux anciens banquiers à des postes clés : Emmanuel Macron à la présidence de la République et François Villeroy de Galhau au poste de gouverneur de la banque de France. Au moment même où le risque d’une nouvelle vague de dérégulation menace le monde par l’action de Donald Trump, cette disposition institutionnelle doit nécessairement conduire la presse à s’interroger sur ce sujet. Le « recadrage » du journaliste par le candidat n’en est alors que plus étonnant.

Connaître la « grammaire »

Car, dans ce « recadrage », il n’a pas été question du rôle de la finance dans l’économie. Pas davantage, du reste, qu’il n’en est question dans le -pourtant – long programme d’Emmanuel Macron. Pourquoi ? La réponse se trouve dans le propos d’Emmanuel Macron au journaliste de Mediapart.  Emmanuel Macron revendique fièrement ces quatre années d’expérience dans la banque d’affaires. « Cela m’évite de dire beaucoup de bêtises et me permet de connaître la grammaire du monde des affaires de notre pays », explique-t-il. Autrement dit, pour le candidat en marche, la banque d’affaires permet d’atteindre la vérité économique. Ceci ne signifie rien d’autres qu’une acceptation d’un certain ordre économique, celui mis en place depuis quarante ans, selon lequel la finance dérégulée est le cœur de l’économie. Mais c’est précisément cet ordre – que Donald Trump va essayer de rétablir outre-Atlantique – qui a causé les désordres actuels.

Retenir les leçons de la crise

Faut-il rappeler que la crise de 2007 n’est pas une crise de la dépense publique excessive ou de la compétitivité de la France ? C’est une crise financière majeure qui s’est transmise à l’économie réelle comme une traînée de poudre et qui a perturbé l’ensemble de l’économie réelle. C’est une crise financière qui a appauvri les Etats et qui a mis à jour l’illusion du projet que sous-tend la réponse d’Emmanuel Macron : celle de la croissance menée par la finance dérégulée. Comme l’ont montré de nombreuses études économiques, notamment celles de Michel Aglietta en France, la financiarisation de l’économie et la prédominance de la priorité donnée à l’actionnaire, a conduit à un recul de l’investissement productif et à un affaiblissement généralisé de l’économie réelle.

Quelle régulation financière ?

Ce que propose Emmanuel Macron est donc l’application de cette grammaire qu’il connaît si bien, mais qui est celle d’un langage en voie de pétrification. Son programme évite soigneusement la question de la régulation financière. Ceci n’a rien d’étonnant de la part de celui qui, en 2012, en tant que secrétaire général adjoint de l’Elysée, a torpillé le projet de loi bancaire*. Mais de fait, ceci ouvre une série de questions sans réponses qui demeurent pourtant centrales pour l’avenir de l’économie. S’il est élu, quelle sera, par exemple, la position du président de la République sur la question des nouvelles normes prudentielles proposées par le comité de Bâle ? Question trop technique ? Sans doute, mais pourtant : refuser ces normes, c’est continuer à mettre des destins à la merci d’une logique financière qui continue de s’emballer malgré la crise et qui menace à intervalles de plus en plus proches les économies. Or, tant le gouverneur de la Banque de France que le président des Etats-Unis s’opposent à ces normes. Qu’attendre du futur président français ? Comment ce dernier pourra-t-il prendre une décision dans l’intérêt général, sans tenir compte des relations nouées durant les quatre années de sa vie dont il est si « fier » et dont il a retenu la « grammaire » ? Question qui restera sans réponse puisque la poser serait donc « faire le lit du Front National ».

Le problème du programme

Sauf que c’est l’ensemble du projet économique du candidat Macron qui, du coup, pose problème. Emmanuel Macron applique sa « grammaire » apprise lorsqu’il était banquier d’affaires : le problème de l’investissement est un problème lié à la compétitivité coût et à la fiscalité. Baissez le coût du travail et la fiscalité sur les entreprises et vous verrez abonder les investissements. Sauf que rien n’est moins sûr. L’abaissement moyen de la fiscalité sur les entreprises est général depuis plus de trente dans les pays développés et l’investissement s’est parallèlement fortement ralenti, de même que la productivité. En réalité, rien de plus logique. La domination de la logique financière et de l’obsession de la rentabilité du capital est venue alimenter un système financier démesuré. Les mirages de rentabilité de la finance dérégulée ont rendu les rentabilités de l’économie réelle dérisoire.

Celui qui veut sauver la mondialisation devra d’abord s’attacher à détruire cette logique, cette « grammaire ». Car c’est elle qui a conduit aux délocalisations massives, aux licenciements « boursiers », aux désertifications des zones industrielles. C’est sur elle que prospère aujourd’hui le discours nationaliste et xénophobe qui profite des oubliés et des victimes de cette logique. Cette logique financière et le coût de son échec, la crise débutée en 2007, fait bien davantage le « lit du Front National » que le rappel par quelques journalistes de la biographie d’un candidat à l’élection présidentielle.

Appliquer la « grammaire »

Or, Emmanuel Macron ne propose rien d’autres que de poursuivre et amplifier cette logique. Son obsession pour la fiscalité des entreprises qui n’est pas sans rappeler celle des Républicains étasuniens (et français, du reste) ne saurait être présentée comme une méthode miracle si elle ne s’accompagne pas d’une réforme financière de grande ampleur au niveau européen. Réforme que le candidat ne propose pas. Mais faute d’une telle réforme, les gains réalisés risquent de se diriger massivement vers des marchés financiers déjà dopés par la politique monétaire de la BCE. Dans un pays où les distributions de dividendes ne cessent de battre des records et où les taux d’intérêt  sont extrêmement bas, on ne peut penser qu’un simple allègement fiscal favorisera l’investissement suffisamment pour redonner à la France une croissance potentielle solide et rendre prospère les zones rurales et désindustrialisées. De sa connaissance de la grammaire financière, il passe donc bien à son application.

La question centrale n’est donc pas de savoir si Emmanuel Macron a été banquier d’affaires. On peut l’avoir été, et même on peut l’être encore, et porter un regard lucide sur la situation économique mondiale et nationale. Emmanuel Macron a d’ailleurs raison : cette expérience pourrait lui avoir été utile pour trouver les clés d’un véritable changement de logique. Mais par sa réponse brutale au journaliste et par le contenu de son programme, Emmanuel Macron montre que ce n’est pas le cas et qu’il est déterminé à appliquer la « grammaire » de la banque d’affaires à notre pays. Et c’est cette politique qui apparaît comme hautement risquée au moment où la même politique s’engage outre-Atlantique.

* Lire à ce sujet : Adrien de Tricornot, Mathias Thépot, Franck Dedieu, Mon Amie, c’est la Finance, éditions Bayard, 2014, 195 pages, 17 euros.

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