25 ans après la chute du Mur : retour sur la distinction Est et Ouest en Allemagne

25 ans après la chute du Mur, le territoire allemand apparaît profondément transformé. Le pays a une économie plus ouverte que jamais, et prospère depuis quelques années malgré un ralentissement récent à la portée très incertaine. Cette croissance économique conforte à la fois la puissance du pays sur la scène européenne et accentue les inégalités, mais celles-ci apparaissent beaucoup moins le résultat d’une division Est-Ouest que d’autres signes d’organisation territoriale. Les récentes évolutions démographiques confirment l’atténuation de cette limite et encouragent à en chercher d’autres, notamment entre un Sud très dynamique, qui tire véritablement l’économie allemande et un Nord qui semble, Hambourg excepté, plus rural, moins bien relié à la dorsale européenne et plus en difficulté.

Des inégalités plus marquées entre Est et Ouest ou entre riches et pauvres ?

L’économie allemande semble prospère, laissant celle de ses voisins européens loin derrière. Cependant les éléments concourant à son succès sont-ils les ingrédients d’une croissance continue et durable, permettant d’enterrer de structurelles inégalités régionales ? Et d’autre part, la croissance économique rapide de l’Allemagne ne cache-t-elle pas d’autres formes d’inégalités, à portée moins spatiale que simplement sociale ?

L’Allemagne fédérale fonctionne encore pour une large part sous le dogme de l’« économie sociale de marché »

théorisée et mise en place par l’ancien chancelier Ludwig Erhard (1963-1966). Elle repose principalement sur la libre concurrence et surtout sur une culture de négociation permanente, branche par branche, entre patronat et syndicats puissants, de salaires convenables, plus élevés que dans la plupart des autres pays européens. L’État, qui intervenait peu dans l’économie, n’avait donc avant 2014 jamais jugé prioritaire d’instaurer de salaire minimum. Une fois dans la crise, en concurrence directe avec des pays à main d’œuvre à bas coûts, la pression se reporte sur les salaires.
Les bons chiffres présentés par l’économie allemande ont ainsi leurs revers aujourd’hui en termes d’inégalités sociales. Les réformes engagées par Gerhard Schröder au début des années 2000 ont contribué à une malléabilité de l’emploi, qui fut louée au moment de la crise de 2008. Dans le même temps, ces réformes rassemblées alors sous le nom d’« Agenda 2010 » et surtout leur volet portant sur l’indemnité chômage, ou lois « Hartz IV », ont contribué à maintenir de bas revenus pour une partie de la population. Les salaires pratiqués en Allemagne sont très peu élevés pour la part de la population la moins qualifiée, qui travaille notamment dans l’agriculture, l’industrie agro-alimentaire et les services à la personne. Les faibles taux de chômage cachent souvent des emplois mal payés, même dans l’ouest du pays.

Sur le thème des inégalités, la géographie française a privilégié les études régionales portant sur les nouveaux Länder et sur Berlin (Carroué, 1994 ; Dufaux , 1996 ; Rouyer, 1997 ; Grésillon, 2002 ; Roth, 2006 ; Queva, 2007 ; Florentin, 2009 ; Laporte, 2011 ; Lacquement et alii 2012). Elle a souvent souligné, avec raison, l’inadaptation des systèmes productifs de l’est de l’Allemagne, l’importance des inégalités régionales et la question de leur comblement progressif. La permanence de cette grille de lecture après 25 ans de réunification interroge la temporalité des phénomènes, la durée pendant laquelle des économies « post-socialistes » restent seulement « post-socialistes ». Précisément parce qu’un quart de siècle s’est écoulé depuis la chute du Mur, on peut aussi se demander si la question des inégalités régionales en Allemagne n’est pas parfois surinvestie ou surdéterminée par la question de l’ancienne frontière inter-allemande.
Les média allemands se penchent régulièrement sur la permanence des divisions Est-Ouest, notamment à travers des éléments anecdotiques. Ainsi apprenait-on, en octobre 2014, dans la version en ligne de l’hebdomadaire Die Zeit, que la lumière portée par la ville de Berlin la nuit, et visible de l’espace n’avait pas la même couleur des deux côtés de la ville, du fait des lampadaires différents utilisés selon les quartiers. L’inégalité s’exprime aussi dans le nombre des armes en circulation, plus faible à l’Est, ou la taille des exploitations agricoles, plus grande dans l’ex-RDA, héritage du système sovkhozien. L’ancienne division Est-Ouest nourrit aussi des crispations qui se reportent sur d’autres objets, comme, au milieu des années 2000, la déconstruction du Palais de la République, l’ancien parlement est-allemand, situé au cœur de Berlin.

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